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Quelle danse?
24 novembre 2010

Le vide

Que peut-on qualifier de vide dans la danse? Il faudrait pouvoir affirmer que le vide existe. Posée à tous les danseurs contemporains, cette question récolterait un non unanime. L’immobilité, la lumière, la respiration, tout existe. Pour beaucoup tout mouvement est danse; dès lors, où trouver le vide?

Évoquer le vide en danse peut se lier à l’ennui ou à l’incompréhension. Explication.

Face à l’œuvre créée en 2007 par le couple Françoise et Dominique Dupuy, Le regard par-dessus le col, l’ennui dans la salle était au-delà de palpable, je dirai insoutenable. Ces deux chorégraphes, engagés dans la recherche et la transmission de la danse, abordent la danse d'abord par sa pensée. L'agitation, la danse en elle-même ne les intéressent guère. Ils se penchent davantage sur l'origine du mouvement, sur sa raison d'être et autres interrogations essentielles de tout danseur contemporain. Le regard par-dessus le col est une pièce écrite pour cinq danseurs. Le couple Dupuy l'interprète avec Sumako Koseki, Wu Zheng et Ogun Jacorau, trois danseurs d'origine asiatique. Le public, confronté à une minimisation et un ralentissement à l’extrême du mouvement, attend. Il se demande si toute la pièce sera dirigée ainsi, ou si la chose va s’accélérer pour enfin laisser place à la «danse». Mais ce qu’il ne comprend pas, c’est que la danse est déjà là, bien présente. L’occidental rêvasse de l’Orient et de ses douceurs, de sa zénitude, mais lorsqu’il y est confronté, l’inscription corporelle de son mode de vie prend le dessus. Pressé et stressé, il fait bloc et construit une barrière qui l’empêche d’aller voir ce qui se passe au-delà. Venue d'une autre culture, d'un autre univers, cette pièce chorégraphique nous interroge et nous dérange plus qu'elle ne nous attire. Le vide apparaît alors comme absence de danse, voire de mouvement.

Dans un autre contexte, le spectateur peut se trouver confronté à un vide émotionnel. En comparaison avec celle du couple Dupuy, la pièce chorégraphique d'Hervé Robbe Là on y danse (2007) est pleine de mouvement, de virtuosité. Mais la technique ne suffit plus. On est face à une troupe qui montre ses capacités physiques au détriment de  l'artistique. (On pourrait pousser la comparaison jusqu'au corps de ballet du Lac des cygnes ou autre ballet classique, ou la seule chose demandée aux danseuses est d'être similaires, donc transparentes. Ce qui importe, c'est le rendu esthétique, l'ensemble et non l'individu.) Le ridicule croît d'autant plus lorsque, pour tenter de masquer ce vide, les interprètes sont amenés à prononcer quelques bribes de phrases: « entre parenthèses », « selon la configuration du terrain »..., pour nous faire croire à une émotion inexistante. Le niveau est admirable, mais les corps tellement vides de sens que l'on n'attend plus que la fin de la démonstration pour rentrer chez soi. Cependant, en ce qui concerne cette deuxième œuvre, la conclusion est plus subjective. Un amateur, qui ne va pas ou peu au théâtre, pourra en ressortir subjugué; on entendra alors les mots « virtuosité », « prouesses techniques », « talent ». Tandis qu'un œil averti aura sûrement pressenti ce qui a été dit dans les lignes précédentes.

En confrontant ces deux œuvres, on s'aperçoit que les divergences ne proviennent pas tant de la façon de traiter le mouvement mais plutôt de l'intention chorégraphique. Quand certains visent une finalité esthétique, d'autres s'interrogent sur l'être individuel, sur l'intériorité, sur la sensibilité artistique. Dès lors, la question ne se porte plus sur le mouvement, mais bien sur le message à faire passer, comme en témoigne la pièce de Christophe Huysman Human, dont voici l'extrait d'un article de Jean-François Perrier, comédien:

« Avec HUMAN (articulations), Christophe Huysman poursuit un travail déjà engagé par Espèces, pièce de cirque, sa précédente création : vouloir un nouvel espace pour l’acte théâtral, vouloir une nouvelle façon de faire entendre la parole dramatique. Acteurs et artistes de cirque se partagent un espace fait de lignes verticales – des mâts chinois – ou horizontales, sur lesquelles ils se déplacent, un espace presque vide qui parle à la mémoire du spectateur et peut le faire songer au cabaret, au music-hall, et bien sûr à la piste de cirque…
Ce lieu sans références immédiates est celui du questionnement du poète sur le monde qui l’entoure, sur le sentiment de vide ou de chute qui parfois s’empare de ceux qui pointent la catastrophe en utilisant le dérisoire pour se protéger. Cette idée répandue que tout nous mène au chaos dans une sorte de mouvement incontrôlable peut, si l’on n’y prend garde, étouffer la voix d’artistes qui, eux, continuent par leur pratique à creuser, à rêver et à imaginer un autre lendemain même s’il ne chantera plus les mêmes chansons.
Ici, sur le plateau, un chœur de voix et de corps tente de dire, joyeusement mais pas sans violence, qu’il ne faut pas jouer inconsidérément avec la désinvolture ambiante mais plutôt inventer des nouvelles formes pour dire le monde. Des formes artistiques jubilatoires contre toutes les formes de barbarie humaine qui se profilent à l’horizon, des formes mouvantes et riches de propositions. Vertige des corps contraints et vertige des mots concassés pour revendiquer la résistance. »

 

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